La Blockchain : l’Internet de la monnaie

La blockchain : l’internet de la monnaie

 

À La fin du dernier siècle, La révolution numérique a marqué le début de l’ère de l’information, permettant le passage à une nouvelle économie basée principalement sur l’informatisation et l’Internet. Depuis ce virage, l’économie était impactée et redessinée en continu par les transformations numériques émergentes qui actuellement catalysent le passage à une quatrième grande révolution industrielle.

Dans son livre La quatrième révolution industrielle l’auteur Klaus Schwab, le fondateur du World Economic Forum de Davos, énumère les différentes mutations qui vont induire cette révolution et il attribue un intérêt particulier à la blockchain. En effet, La blockchain a le pouvoir de bousculer de fond en comble et de réinventer les processus et les modèles économiques actuels et même rendre des activités de notre économie obsolètes, complétant ainsi, le processus disruptif introduit par les services ‘uber-like’ pour atteindre une uberisation ultime.

 

Le terme blockchain fait initialement référence à la technologie sur laquelle repose ce que l’on appelle une cryptocurrency (monnaie virtuelle) comme le bitcoin qui représente techniquement la première monnaie virtuelle fiable. La blockchain est une technologie révolutionnaire qui représente un changement radical dans la structure du monde financier, permettant la migration d’un système financier fondé sur des institutions financières centrales à un système digital démocratisé, fiable, décentralisé et autogéré via Internet. Grâce à la blockchain, nous passons donc d’un internet d’échange d’information à un échange de valeurs virtuelles créées en Internet hors du monde réel. Un concept que nous pouvons appeler “internet of value” ou “Internet of money”. Si les cryptocurrencies, au premier rang desquelles le bitcoin, peuvent stimuler le scepticisme de certains, la blockchain suscite un intérêt croissant de la part de toutes les industries, principalement l’industrie bancaire, qui sont en train de l’étudier et de chercher des moyens rapides pour exploiter sa puissance et l’adopter à leurs besoins. Selon Infosys 69% des banques sont en cours d’expérimenter des blockchains privées.

Pourquoi la blockchain ?

Cette technologie engendre un grand intérêt autour d’elle vu qu’elle a réussi à résoudre un dilemme qui était insolvable pour des décennies, celui d’établir la confiance entre des parties qui ne s’échangent pas de confiance mutuelle sans passer par un intermédiaire. Le problème était initialement posé pour la dématérialisation de l’argent : comment peut-on créer une monnaie virtuelle adaptée à la nature d’internet sans avoir une dépendance d’une entité centrale. La rupture de cette dépendance en une autorité s’imposait comme une nécessité car toutes les tentatives (depuis les années 80) pour créer une monnaie virtuelle, ont échoués principalement parce que les gouvernements interviennent et arrêtent le système virtuel en arrêtant l’entité derrière qui le maintien et qui constitue dans ce cas un point de faiblesse mortel.

 

Après deux décennies d’échecs, La blockchain via le bitcoin en 2008 a réussi à résoudre le paradoxe prémentionné en présentant la première solution fiable de monnaie virtuelle sans autorité centrale. Dans un contexte mondial perturbé par la crise mondiale, ce système a réussi à prouver son résilience et sa fiabilité et à présenter une alternative au système financier existant. Le succès de la blockchain a été propulsé par le succès du bitcoin, un succès qui s’est manifesté par une hausse fulgurante du cours bitcoin qui a dépassé la valeur de 1000$ en 2013 et qui dépasse la valeur de l’once de l’or en 2017. À l’heure actuelle, ces systèmes de cryptocurrency transactent près de 800 millions de dollars quotidiennement. Des signes irréfutables de la confiance que de tels système peuvent instaurer à l’échelle mondial. Ce succès phénoménal et inattendu a fait attirer l’attention de tous les acteurs financiers depuis 2014. Par conséquent, plusieurs études et rapports ont vu le jour qui étudient le potentiel de cette technologie. En l’occurrence, le Forum économique(WEF) a publié plusieurs rapports estimant que la blockchain deviendra le cœur battant de la finance dans le futur et que 10% du produit mondial brut international sera stocké dans des blockchains en 2027. Sachant qu’actuellement, la valeur totale des bitcoins dans la blockchain est d’environ 23 milliards de dollars, soit environ 0,025% du PIB mondial.

De quoi s’agit-il ?

La blockchain concrètement est un registre spécial de gestion des transactions. Dans lequel par intervalle temporel les transactions sont enregistrées sous forme de collections appelées blocs. Ces blocs sont entreliés par des liens d’authenticité où chacun porte l’empreinte cryptographique de son précédent formant ainsi une chaîne, comme l’insinue le nom blockchain (chaînes des blocks). Ce registre est maintenu par un réseau ouvert de participants où chacun dispose de la même copie. L’opération d’écriture des transactions dans la blockchain est gérée par un protocole de consensus qui assure la sécurité du registre et la fiabilité de ses données. La blockchain est composée de quatre variables qui la caractérisent : la décentralisation, la transparence, l’anonymat et l’immutabilité des données qui ne peuvent ni n’être supprimées ni ne mises à jour.

La blockchain n’est pas qu’une base de données mais un système de transactions complet qui propose des services innovants. En l’occurrence les contrats intelligent ou “Smart contracts”. Il s’agit de contrats sous forme de programme qui gèrent les transactions et qui seront exécutées dans les différents nœuds du réseau blockchain. Ce type de contrat hérite des caractéristiques de la blockchain et il n’est ainsi soumis à aucune intervention et ses résultats sont définitives et fiables. Par conséquent, avec la blockchain on arrive via ces contrats à automatiser et réduire davantage la complexité de tous les business process.

 

Pour comprendre le pouvoir des systèmes Blockchain, il est important de dissocier deux concepts qui sont communément confondus, à savoir la monnaie virtuelle (ex. Bitcoin) et la blockchain. La monnaie virtuelle constitue un service et la blockchain constitue la technologie sous-jacente. La blockchain peut être utilisée sans ou en combinaison avec une cryptocurrency.

Opportunités et défis :

Bien que la blockchain constitue une menace directe aux services financiers et d’intermédiation elle ouvre de nouvelles opportunités pour réduire la complexité et les coûts d’infrastructure pour différents domaines. Dans ce sens, McKinsey estime que la blockchain pourra réduire le coût des infrastructures financières de 110 Milliards de dollars. Accenture affirme que la Blockchain peut faire des économies aux banques allant jusqu’à 30% des coûts d’infrastructures. En outre, son architecture ouverte et son pouvoir de désintermédiation et d’établissement de confiance, définissent des applications dans un large éventail de secteurs : Le banking, l’assurance, La logistique, la santé, le commerce, l’éducation, etc..

Un des exemples les plus convoités est celui la lettre de crédit. En utilisant les smarts contracts et une blockchain communes entres les différents acteurs de la LC. Nous aurons une réduction de temps et d’effort considérable. Nous pouvons passer d’un processus complexe qui peut durer des mois à un processus simplifié qui s’exécute en temps réel. Un autre cas d’utilisation serait la collecte des Taxes en utilisant la blockchain une solution qui permettra efficacement de combattre L’évasion fiscale. Dans ce sens, le WEF prévoit qu’en 2025, la taxe sera perçue pour la première fois par un gouvernement via une blockchain.

La situation au Maroc :

Pour faire de cette transformation technologique, un facteur de croissance, les initiatives et les stratégies d’adoption de la blockchain se multiplient partout dans le monde dans le secteur privé et publique. En Afrique des projets à grandes envergures ont été lancés : à titre d’exemple et non exhaustif, le Sénégal a annoncé un projet national pour la création d’une blockchain nationale offrant une monnaie virtuelle reconnue officiellement à côté du franc CFA et qui sera utilisée dans toute l’Afrique de l’Ouest. En Afrique du sud, le Absa Bank, filiale de Barclays Africa, avait expérimenté en 2016 la première transaction au monde entre des banques via blockchain avec Barclays UK. Au même pays, plusieurs banques locales se sont regroupées pour créer la première solution basée sur la blockchain en Afrique pour l’industrie des services financiers. Avant ces expériences, La Tunisie via la poste nationale était la première sur l’Afrique à proposer un service de porte-monnaie (E-dinar) basé sur la blockchain. D’autres pays, comme le Ghana, le Kenya et le Nigeria, ont commencé à utiliser la Blockchain pour gérer les registres fonciers.

 

Quoique que de telles initiatives sont absentes au Maroc, la situation reste encourageante. Selon mon expérience de nombreux professionnels en premier rang du monde financier ont engagé des réflexions, et pour certaines des expérimentations afin de définir leurs positionnements stratégiques vis à vis la blockchain. En effet, Il y a des entités avec qui nous travaillons sur des projets internes à base de blockchain qui peuvent bien donner du momentum pour l’adoption future de cette technologie au Maroc.

 

Face à ce phénomène de blockchain présenté comme inexorable, il semblerait que l’adaptation soit une réponse plus appropriée que la résistance. Nous devons mettre en place une Feuille de route dédiée à la blockchain et l’inclure au plan digital marocain de 2020. Les politiques publiques semblent être dernièrement en réaction aux récentes évolutions technologiques comme dans le cas d’Uber, il faudra cette fois-ci anticiper les futurs changements déclenchés par la blockchain et créer un cadre donnant à l’économie une forte impulsion. Un cadre juridique et des normes appropriées doivent être développé pour établir la confiance du marché. En attendant une telle percée, nous pouvons créer un observatoire ou un écosystème national regroupant les différentes entités intéressées par la blockchain pour initier un projet pilote d’envergure nationale et comprendre et anticiper les bouleversements provoqués par la blockchain sur l’économie nationale. Une initiative similaire a été prise par la commission européenne en avril dernier envisage de mettre en place un observatoire et un forum européen dédié à la Blockchain avec un budget de 500 000 euros pour deux ans.

 

La blockchain constitue à la fois la principale menace et la principale opportunité à laquelle le secteur financier est confronté. C’est pourquoi tous les dirigeants et acteurs de ce secteur doivent comprendre les tenants et aboutissants de cette mutation qui s’opère et qui emporte tout sur son passage. La blockchain peut être comparée à la voix sur IP(VOIP) pour les opérateurs télécoms. Des solutions gratuites comme Skype, Viber, FaceTime ont permis aux utilisateurs de se passer des opérateurs traditionnels qui jouaient autrefois un rôle axial dans les années de l’analogique. Cette concurrence a fait chuter le chiffre d’affaires des communications voix sur mobile. Le même exemple peut être conduit dans le sens où ces opérateurs ont exploité la Voip dans leurs réseaux internes (en backbone) pour réduire les coûts et améliorer le service.

Dans un monde en changement rapides, les nouvelles technologies telle que la blockchain, ne respectent pas le statu quo, mais elles exigent une attitude active des organisations concernées, si elles veulent subsister et protéger leurs parts de marché au cours de la prochaine décennie.